ARTICLE 918 DU CODE CIVIL L’INTROUVABLE EQUILIBRE ?
Comment essayer (désespérément) d’équilibrer un texte de loi qui ne l’est pas… C’est ainsi que l’on pourrait comprendre un arrêt récent de la Cour de cassation, associé au travail des magistrats de la Cour d’appel de Papeete.
L’arrêt concerne l’article 918 du Code civil, un texte destiné à protéger les héritiers réservataires.
Il est relatif à la situation dans laquelle le défunt vend un bien à l’un de ses héritiers en ligne directe, alors que cette aliénation est consentie :
- à charge de rente viagère ;
- ou à fonds perdus (par exemple moyennant un bail à nourriture) ;
- soit encore avec réserve d’usufruit ;
Dans ce cas, la vente est considérée par la loi comme une donation déguisée. D’autre part, cette donation est présumée consentie hors part successorale.
Dès lors, si la valeur en pleine propriété de la vente dépasse la quotité disponible (la part de succession dont le défunt peut librement disposer), alors les autres héritiers peuvent demander la réduction de la donation. Une indemnité sera calculée, qui viendra s’ajouter à la masse active successorale à partager.
Or, la présomption de donation est irréfragable. Il n’est donc pas possible d’apporter la preuve contraire (Civ. 1re, 29 janv. 2014, n° 13-16511).
Seule atténuation à la rigueur de ce texte : lorsque les autres héritiers acceptent la vente, alors, l’opération retrouve son caractère onéreux. Elle ne peut dans ce cas donner lieu ni à imputation, ni à réduction.
Mais sous quelle forme ce consentement doit-il intervenir ?
C’est à ce sujet que la Cour de cassation nous livre un arrêt intéressant, mais qui ressemble un peu à un chant désespéré (Civ. 1re, 26 janv. 2022, n° 20-14155).
Un père avait, par actes identiques et presque concomitants, vendu à ses quatre enfants la nue-propriété du quart des parts de sa société. Après son décès, il laissait ses descendants et un conjoint survivant légataire du quart de la succession. Les enfants demandent l’imputation des cessions de parts sociales sur la quotité disponible (Article 918 du Code civil). Ils sont déboutés par la Cour d’appel de Papeete.
La Cour d’appel considérait que le caractère strictement identique et la quasi-concomitance des cessions démontraient que l’opération était connue et acceptée par l’ensemble des enfants réservataires.
Cette déduction n’allait pas de soi. Mais la Cour de cassation valide le raisonnement. Le consentement à l’aliénation peut donc être tacite.
La Cour renvoi au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Ceci constitue une véritable nouveauté. Jusqu’à présent, il était communément admis qu’il fallait intervenir à l’acte pour donner son consentement.
En effet, l’article 918 a pour but de protéger la réserve des héritiers. Or, la Cour admet ici qu’un héritier puisse renoncer tacitement à ce qui constitue pour lui une protection : l’action en réduction.
La solution est par ailleurs peu cohérente avec un autre texte du Code civil, de portée plus générale. L’article 929 offre en effet à l’héritier réservataire la possibilité de renoncer de manière anticipée à demander la réduction d’une libéralité.
Mais cette renonciation obéit quant à elle à un formalisme très rigoureux.
Enfin, en droit commun, la preuve d’un acte juridique dont le montant dépasse 1500 euros ne peut se faire que par écrit, et non de manière tacite (Article 1359 du Code civil).
Renonciation formellement encadrée dans le cas de l’article 929, tacite dans le cas de l’article 918. Comment expliquer une telle différence ?
La réponse réside sans doute dans l’article 918 du Code civil lui-même. Ce texte est en effet particulièrement sévère pour l’héritier dont l’acquisition est présumée être « gratuite ». En plus du prix payé, l’héritier risque donc d’être tenu au versement d’une indemnité de réduction…
Cette présomption de gratuité, pourtant très critiquée, a été reconnue conforme à la Constitution française (Cons. const. 1er août 2013, n° 2013-337 QPC).
Le mérite de la Cour de cassation consiste donc à tenter de tempérer la rigueur de la présomption irréfragable de gratuité.
Elle apporte une réponse pragmatique, certes louable dans son intention, mais qui laisse perplexe quant à sa mise en œuvre.
Après tout, Alfred de Musset n’aurait pas démenti la Cour : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux ; J’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots »…
Edition du 01/04/2022. Cabinet de Maître Nicolas Blanchy, Avocat au barreau de la Drôme.
L’article suivant est élaboré à titre informatif en l’état du droit en vigueur au moment de sa rédaction. Il ne comporte aucun engagement à l’actualisation systématique du sujet en fonction des évolutions législatives et des décisions de jurisprudence et ne dispense pas le lecteur d’une consultation plus approfondie des textes de loi ou d’une analyse juridique actualisée par un professionnel du droit.