DEMANDE TACITE DE DELIVRANCE DE LEGS
Le legs est l’acte unilatéral à cause de mort par lequel un testateur laisse tout ou partie de ses biens à un légataire.
Son étymologie provient de l’ancien français « lais » (laisser), d’où la présence du S au singulier.
En présence d’héritiers réservataires, le légataire à l’obligation de faire reconnaître par ces derniers l’existence de son droit de propriété.
Cette formalité se nomme la demande en délivrance.
Elle est régie par les dispositions des articles 1004 (legs universel), 1011 (legs à titre universel) et 1014 du Code civil (legs particulier).
La délivrance des legs a des effets juridiques très importants. Elle conditionne d’une part l’entrée en possession effective du légataire. Elle autorise d’autre part la perception par le légataire des fruits du bien légué (loyers le plus souvent).
L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt (Civ. 1re , 21 juin 2023, n° 21-20396) concernait le cas d’un legs particulier, c’est-à-dire portant sur un ou des biens déterminés de la succession. La défunte avait eu deux enfants (héritiers réservataires par conséquent). Peu avant son décès, elle avait consenti par testament à une certaine Madame D, un legs portant d’une part sur un appartement, d’autre part sur un local commercial.
Madame D habitait l’appartement. Le local commercial générait des revenus.
Les deux enfants soutiennent d’abord la nullité du testament. Mais, ils sont déboutés de cette première procédure.
Ils saisissent alors une nouvelle fois la justice pour faire reconnaître la prescription de la demande en délivrance. Il demande en conséquence à la légataire une indemnité d’occupation à compter du décès.
La question soumise à la cour de cassation portait notamment sur les modalités d’une délivrance tacite de legs.
En effet, il est admis que la demande de délivrance de legs n’est soumise à aucun formalisme. Elle peut donc être expresse ou tacite. Ainsi le fait de ne pas s’opposer à la prise de possession des biens légués vaut délivrance (Civ. 1re, 18 nov. 1968, n° 66-13789).
Dans le cas d’espèce, la légataire occupait déjà l’appartement au moment du décès. Elle n’en avait pas pris possession après le décès. La Cour estime que la légataire n’a accompli aucun acte positif valant demande tacite. Le seul maintien dans les lieux n’est pas suffisant. Aucune demande tacite de délivrance ne peut être caractérisée.
Les conséquences sont sévères : les droits de Madame D sur les biens sont anéantis rétroactivement. Elle est redevable d’une indemnité pour l’occupation de l’appartement. Elle doit restituer aux héritiers les revenus tirés du local commercial.
De manière incidente, l’affaire soulevait également la question de la durée de la prescription.
En matière de délivrance de legs, la durée de la prescription fait l’objet d’un débat qui n’a pas été formellement tranché à ce jour.
Toutefois, l’arrêt de la cour de cassation apporte une indiscutable réponse « en creux ».
En reconnaissant la prescription acquise alors que la demande de délivrance était intervenue près de sept ans après le décès, elle applique de facto la prescription du droit commun. Celle-ci est de cinq ans à compter du décès.
Rappelons enfin que l’action en nullité du testament exercée par un héritier n’a pas d’effet suspensif sur la prescription de la demande en délivrance (Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 19-11543).
Edition du 01/11/2023. Cabinet de Maître Nicolas Blanchy, Avocat au barreau de la Drôme.
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