DROIT A LA PREUVE ET LOYAUTE
La cour de cassation admet la recevabilité d’une preuve obtenue de manière déloyale.
Elle se prononce en formation plénière à l’occasion de deux affaires, ce qui donne une portée très générale à ce revirement de jurisprudence (Cass. Ass. Plén., 22 déc. 2023, n° 20-20648).
En France, l’article 9 du Code de procédure civile dispose que : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »
On savait qu’une preuve « illicite » (atteinte à la vie privée ou a un secret juridiquement protégé) pouvait être admise à condition :
- Qu’elle soit indispensable au succès de la prétention de celui qui l’invoque ;
- Et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence soit proportionnée au but poursuivi (exemple : Civ 1er., 5 avril 2012, n° 11-14177).
En revanche, jusqu’à présent, la loyauté de la preuve restait un principe intangible.
Nul ne pouvait agir à l’insu de son adversaire, encore moins user de stratagèmes retors pour le piéger. Il fallait emporter l’adhésion avec panache ou se taire, triompher dignement ou succomber en silence.
Les temps changent.
La Cour européenne des droits de l’homme consacre un véritable droit à la preuve (article 6 § 1 CEDH). Celui-ci est présenté comme une des conditions d’un procès équitable. Selon elle, « L’égalité des armes implique d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ».
Finalement, la Cour de cassation aligne son raisonnement sur celui déjà adopté en matière de preuves dites « illicites ».
On admettra que la frontière entre les deux notions (preuve illicite et preuve déloyale) est ténue. Elle ne justifiait sans doute pas une telle différence de régime.
Pour autant, la Haute Cour ne met-elle pas le doigt dans un engrenage malicieux dont on a peine à mesurer les conséquences ?
Désormais, les juges du fond devront se livrer à un épineux contrôle de proportionnalité. Cela ne manquera pas d’entrainer des discordances entre juridictions et un aléa dommageable pour le justiciable.
Les pratiques d’investigations douteuses risquent d’être encouragées (logiciels espions ? sociétés spécialisées en ce domaine ?…) et le contentieux de la preuve d’être porté à ébullition.
A l’heure où la Chancellerie fait du règlement amiable des litiges son horizon ultime (conciliation, médiation, ARA…), on peut s’interroger. Est-il vraiment cohérent d’admettre la preuve déloyale tout en poursuivant l’objectif louable de pacifier le contentieux ?
Edition du 01/03/2024. Cabinet de Maître Nicolas Blanchy, Avocat au barreau de la Drôme.
L’article suivant est élaboré à titre informatif en l’état du droit en vigueur au moment de sa rédaction. Il ne comporte aucun engagement à l’actualisation systématique du sujet en fonction des évolutions législatives et ne dispense pas le lecteur d’une consultation plus approfondie des textes de loi ou d’une analyse juridique actualisée par un professionnel du droit.